jeudi 26 avril 2012

En route!


La semaine dernière, j’étais à Mongo, une petite ville à 400 kilomètres à l’ouest d’Abéché. C’est la capitale du Guéra, une région centrale montagneuse du Tchad. C’est là que vivent les sept autres compagnons jésuites qui forment la communauté jésuite à laquelle j’appartiens. Après plus de trois mois au Tchad, il était temps que je les visite... 

Pour mon retour, j’étais accompagné de Joël un jésuite français de 78 ans. Il voulait venir dire au-revoir à Abéché où il avait été curé de la paroisse pendant 10 ans mais qu’il avait dû quitter précipitamment en février 2011 suite à un accident de la route. Comme nous avions prévu de prendre le bus, nous nous sommes rendus au « parc des bus » de Mongo vers 11h30, heure à laquelle on nous avait indiqué que les bus en provenance de N’Djamena et à destination d’Abéché passaient. Nous avons jeté notre dévolu sur le premier bus qui est arrivé.

En fait de bus, il s’agissait plutôt d’un camion transformé en bus, dont le toit était couvert d'une épaisse couche de marchandises. Vous pouvez en juger par vous-mêmes … L’intérieur était presque aussi comble : l’espace entre les sièges était rempli de cartons et de bagages. J’avoue que j’ai hésité un instant avant de grimper dans l’engin … Mais je me suis dit que c’était une bonne manière de faire l’expérience des voyages comme la font beaucoup de Tchadiens. 

En effet, si le confort n’était pas de première classe, le pittoresque était au rendez-vous : à l’intérieur du bus c’était un joyeux brouhaha. Les passagers, tout sourire de nous voir partager avec eux ce moyen de transport, s’interpelaient par des blagues, les enfants couchés sur les caisses ou les bagages riaient, dormaient ou pleuraient, bercés par les secousses de la pistes … 

Le voyage n’a pas duré longtemps. Après un peu plus d’une heure et 40 kilomètres de route, le bus s’est immobilisé en pleine brousse. C’était la panne ! La transmission vers les roues arrière avait lâché. Nous sommes tous sortis du bus pour constater les dégâts, espérant que nous allions repartir rapidement. Mais nous avons dû déchanter : au passage d’un camion dans le sens inverse, le chauffeur nous a laissés là emportant avec lui la pièce cassée vers Mongo. Pendant ce temps, le mécanicien récupérait à l’ombre …

Les heures ont commencé à défiler. Pendant cette attente, j’ai appris des autres passagers que ce n’était pas le premier arrêt forcé du voyage : ils avaient déjà connu deux crevaisons et une panne sèche depuis N’Djamena (à 500 km) qu’ils avaient quitté déjà 24 heures plus tôt. En me montrant des grands bacs frigo sur le toit, l’un d’eux m’a dit : « C’est du poisson que je voulais vendre à Abéché. Maintenant tout est sûrement gâté. Ça sent déjà » … Il faut dire qu’en cette période de l’année, en pleine journée, le mercure descend rarement sous la barre des 40 degrés.

Vers 16h30, il n’y avait toujours pas de nouvelles du chauffeur. Plusieurs parmi les passagers étaient montés sur des camions qui avaient accepté de les prendre. Nos réserves d’eau étaient épuisées. A chaque véhicule qui passait, mes compagnons d’infortune se précipitaient pour demander de quoi étancher leur soif, quelle que soit la qualité du liquide. Je n’avais pas trop envie d’attraper une tourista et j’étais aussi un peu préoccupé pour Joël, mon compagnon de voyage, qui patientait tranquillement dans le bus. Je me suis donc dit qu’il était plus sage de revenir sur nos pas. Par la grâce de la téléphonie mobile, j’ai pu appeler les compagnons de Mongo qui ont dépêché une voiture pour venir nous chercher. Il était 18 heures quand nous avons laissés à leur sort les autres  voyageurs. Il y avait toutefois une lueur d’espoir : le chauffeur venait d’arriver avec la pièce réparée. Ils sont sans doute arrivés à Abéché au lever du jour le lendemain.

Cette aventure me donne l’occasion de passer en revue quelques moyens de transport du Tchad. A commencer par celui qui a reçu le titre de « Ministre du Transport » : l’âne ! Je ne sais si c’est parce qu’il occupe parfois la voie publique sans daigner la libérer ou si c’est pour les innombrables services qu’il rend. Un peu des deux sans doute. Sans lui, la vie serait différente au Tchad. C’est comme le journal « Tintin » : on peut l’utiliser de 7 … 

… à 77 ans !

 
 

Mais l’âne est surtout l’aide indispensable de la femme tchadienne. Pour aller et revenir du marché (souvent en groupe d’ailleurs) …

… ou pour la corvée de l’eau, il est indispensable. Quelqu’un m’a dit un jour : « Ici, si tu veux prendre une femme, tu ne peux pas le faire si tu n’es pas capable de lui payer un âne ». Une histoire de 75€ environ.

J’avoue que j’ai pas mal d’admiration pour cette « pauvre bête de somme » comme nous le chantions chez les louveteaux. Il semble avoir une colonne vertébrale à toute épreuve et ne pas éprouver de rancune à ce qu’on le charge des fardeaux les plus lourds ou les plus encombrants.

Bon, il n’est pas le seul quadrupède à rendre ce genre de service. Le chameau – en fait plutôt le dromadaire (c’est lequel encore qui a deux bosses ?) – n’est pas en reste …

C’est un animal très prisé. Pas seulement pour sa bonne bouille. Mais parce que de sa démarche nonchalante, il transporte homme et matériel à une vitesse de croisière appréciable dans les régions les plus inhospitalière. Et tout cela sans devoir étancher sa soif pendant des jours et des jours. La plupart du temps, ils sont la propriété des éleveurs d’origine arabe. Je n’ai pas encore essayé cette monture, mais connaissant mon sens de l’équilibre, je ne suis pas sûr que je sois fait pour elle.

Si on passe du côté des transports à moteur, la reine du Tchad, c’est la moto. Elle est la plus populaire car elle permet de passer presque partout et en ville elle envahit les rues, louvoyant parmi les véhicules plus lourds. Savoir réparer une moto, c’est un atout important. C’est le cas de Hafis que vous voyez ici. Ancien « enfant-soldat », le JRS l’a accompagné pour la réunification avec sa famille et sa réintégration sociale. Pendant 9 mois, il a suivi une formation de mécanicien, ce qui lui permet aujourd’hui de gagner un peu d’argent. Comme il a choisi de poursuivre ses études, cet argent lui permet de faire face aux frais scolaires.


A Abéché, la moto subit la concurrence du rackcha, son cousin à trois roues. C’est lui le taxi officiel de la ville, reconnaissable à sa couleur jaune. Les habitants de la ville, les femmes drapées dans leur pagne et les hommes dans leur ample boubou, en sont très friands. 

Pour les plus longues distances, il y a les bus, ceux dignes de ce nom comme celui avec lequel j’ai finalement rejoint Abéché au lendemain de mon voyage avorté dont je vous ai entretenu au début de ce message et les camions transformés en bus que vous connaissez déjà. Mais les bus sont loin d’aller partout et donc le camion « pur et dur » est souvent le seul moyen de déplacement disponible, par exemple lorsqu’on est un petit commerçant et qu’on veut aller vendre sa marchandise sur les marchés de la région.

La plupart du temps, les passagers s’installent au-dessus de la cargaison et s’accrochent comme ils peuvent car cela secoue. Pour se protéger des branches d’arbres et de la poussière, le turban est très utile.

Je vous en parle mais sans vraiment connaître, car nous autres humanitaires avons la chance de bénéficier de facilités de déplacement que n’a pas la majorité de la population. Pour les longues distances : l’avion dont je vous ai déjà parlé auparavant. Si ce service des vols du Programme Alimentaire Mondial n’existait pas, cela nous compliquerait drôlement la tâche. Je ne vous apprends donc rien mais ça me permet de vous partager cette photo sur la piste de Goz Beida où je me trouve en compagnie de deux membres du JRS : Oumar que vous avez appris à connaître dans mon message précédent et Zidane, non pas footballeur de son état mais superviseur des enseignants au camp des réfugiés de Djabal.

Et pour les distances plus courtes, les véhicules 4 x 4. Le modèle le plus recherché est celui que vous voyez sur l’image : ce n’est pas le plus confortable, mais il peut embarquer jusqu’à 11 personnes sans problèmes et c’est le champion des terrains les plus difficiles : les zones à ornières et les zones ensablées.

En principe, il franchit tous les obstacles. Je dis bien « en principe »… En saison des pluies (que je n’ai pas encore connue, elle arrivera au mois de juillet ; j’ai emprunté cette photo), lorsque les oueds asséchés deviennent des torrents impétueux, il peut être surpris !

Je ne pourrais pas terminer en passant sous silence notre moyen de déplacement naturel, nos deux pieds. Il est loin d’être délaissé, surtout dans les zones rurales. Lorsque je vais visiter les camps, je suis souvent étonné de voir surgir des piétons au milieu de nulle part, dans des paysages apparemment inhabités, comme celui-ci. Ce sont d’ailleurs souvent des femmes avec leur enfant sur le dos, et les pieds nus. D’où viennent-elles et où vont-elles ? Elles me rappellent notre condition de pèlerins, hommes et femmes en marche, sur cette terre.

Bonne route à tous et toutes !

Au camp des réfugiés de Djabal, ce sont les tableaux noirs qui bougent ...